InterSections, N°3 mars 2001, Université de Genève, p. 6.


Et si dans notre futur, l’art devenait transgénique…

Christophe Ungar

Kac ne peut pas oublier l’instant où il prit Alba pour la première fois dans ses bras. Elle était docile et se complaisait fort bien dans les embrassades de son créateur. Alba est la pièce maîtresse de l’artiste brésilien. Alba est un animal transgénique, un lapin fl uorescent qui rayonne de tout son corps une lumière verte quand il est placé sous une lampe UV. Cet «art transgénique» incarne pour Kac une nouvelle forme d’expression utilisant les outils du génie génétique afi n de créer des êtres vivants uniques, et déclencher de nouvelles réfl exions.

Que penser de cette démarche ? Oscillant entre scandale et délire, on pourrait penser que l’artiste ne soit qu’un mégalomane désirant mimer Dieu. Mais l’ensemble de son travail ainsi que son approche particulière pourraient dépasser cette première considération.

Des animaux transgéniques naissent tous les jours dans les divers laboratoires de recherche fondamentale et médicale. Ces animaux : rats, souris, lapins, servent de modèles aux scientifi ques pour comprendre, puis éventuellement guérir de nombreux désordres humains.

Beaucoup arrivent à accepter ceci car la fi nalité est relativement apparente. Par notre comportement égoïste, nous nous disons que grâce à certains sacrifi ces inévitables, c’est nous, l’espèce humaine qui en sortira grandie.

Eduardo Kac insiste que son art est réalisé avec grand soin, en reconnaissant les issues complexes qui seront soulevées, et surtout en s’obligeant de respecter, éduquer et aimer la vie ainsi créée. Il se porte garant du bien-être d’Alba. Après tout, il est vrai qu’Alba ne souffre pas de contenir un gène surnuméraire; la protéine GFP (pour «Green Fluorescent Protein») qu’Alba fabrique dans ses cellules ne lui donne rien d’autre qu’une couleur atypique. Alba sera sûrement chérie et aimée tout au long de sa vie de lapin. Est-ce le cas pour le rat de laboratoire ? Les scientifi ques sont humains et consciencieux, ils ne veulent pas faire souffrir leurs cobayes mais des expérimentations inévitables meurtrissent l’animal. Alors, où est le bien et où se situe la limite du mal : Alba, heureuse mais ne servant à rien ou le lapin sans nom du laboratoire X, indispensable brique de la recherche scientifique ? La finalité médicale justifie-t-elle l’utilisation d’animaux, et est-elle la seule à pouvoir la légitimer ?

Le concept «Alba» et l’art transgénique introduisent en tout cas une nouvelle ambiguïté dans le débat déjà houleux du génie génétique. Eduardo Kac vient de lancer un gros pavé dans la mare. Attention aux vagues.


Back to Kac Web