Kyrou, Ariel. Paranofictions (Paris: Climats / Flammarion, 2007).


Quand le « bio-performeur » Éduardo Kac « crée » en avril 2000 son lapin fluo, Alba, qui émet une lueur verte grâce à un gène de méduse, se situe-t-il dans l’héritage des luddites ? Ou est-il à l’inverse le valet servant des laboratoires de biotechnologies ? « Le lapin fluo, c’est tout le contraire de nos vaches classiques, il est entièrement neuf, poils et moustaches vert fluo, Green fluorescent, ça pourrait être un nom de rose », écrit en 2002 l’écrivain Olivier Cadiot dans Retour définitif et durable de l’être aimé. Et de laisser son esprit délirer à partir de l’œuvre d’art transgénique… « Réalisé avec amour par un artiste de labo dans son atelier-hôpital, prototype vivant, oreilles clonées et douces, cible idéale dans campagne transparente, gibier 4D pour nouveau chasseur. Boum. »  Hacker des biotechnologies, Éduardo Kac a inspiré Olivier Cadiot, qui en a imaginé « oiseaux orange, cerfs luminescents, brochets jaune citron, bécasse cadmium » comme autant de rejetons probables ou improbables de l’animal né mutant par la grâce de l’art contemporain. Le lapin fluo est-il l’exemple d’un être vivant transformé en produit ? Est-il l’antithèse du chien robot Aïbo de Sony lorsqu’il est vécu comme un drôle d’être vivant par ses maîtres et enfants ? Ou est-il au contraire le frère mortel de ce canidé artificiel désormais abandonné par son constructeur ? Pionnier de l’art transgénique, Éduardo Kac n’a jamais dit qu’Alba lui-même était une œuvre d’art. Il l’aime, son lapin, et sa fille aussi l’adore. Il l’a nommé Alba, blanc en latin, « pour contrebalancer le côté fluorescent et affirmer que c’est aussi un lapin albinos comme les autres. Alba n’est pas un monstre. Il est à la fois différent et identique à tous les autres. Ce qui m’intéresse, c’est de voir si la génétique va nous amener à souligner les similitudes entre les êtres vivants ou leurs différences. »  L’oeuvre véritable, ce sont donc les mots de Cadiot, ce sont toutes les réactions a posteriori des gens face à l’animal mutant, les peurs et les déclarations d’amour, les conférences, les dessins, les manifestes, le drapeau Alba… Le lapin fluo « marche » comme une alerte fluo, un avertissement bien plus probant que le fauchage d’un champs de maïs. Il suscite la réflexion, mais sert le propos de l’artiste. S’il est utile, quoi qu’en dise Kac, le voilà donc réduit à  l’état de produit. L'artiste démiurge prétend, au contraire, qu’Alba s’ébat dans la nature ou son appartement sans répondre à quelque interrogatoire de rentabilité. Il serait inutile, inassimilable à un produit manufacturé. Est-il pour autant une véritable contre-fiction ? Un leurre de vérité plus juste que les fictions réalisées que nous prépare l’Empire des biotechnologies ?

  NOTES
1 - Olivier Cadiot, Retour définitif et durable de l’être aimé, P.O.L. (2002), p.16.
2-  « L’art transgénique ? Une bonne occasion de dialoguer  (Eduardo Kac) », article d’Alexandre Piquard sur le site http://www.transfert.net (2002).


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