INCULTE. Revue littéraire et philosophique #7, pp. 10-21, Paris, 2006.





IN VIVO

ENTRETIEN AVEC EDUARDO KAC

 

par Mathieu Larnaudie & Jérôme Schmidt

 

Le travail artistique d’Eduardo Kac, né en 1962 à Rio de Janeiro, s’initia dès ses dix-huit ans à travers sa participation à un groupe d’interventions et de performances réalisées, au Brésil, en divers lieux de la vie urbaine et sociale.  Ces premières expériences amorcèrent son interrogation sur l’espace public, sur les possibilités sociales et sur l’impact sociétal de l’art, qu’il poursuivit ultérieurement en s’intéressant à de nouveaux média, à de nouveaux supports et à de nouveaux domaines de savoir.

Installé à Chicago depuis 1989, où il enseigne au célèbre Art Institute (son séminaire y questionne la relation entre “Art et technologies”), le développement de ses recherches l’a mené à entretenir des interactions et un dialogue continus avec les formes de vie suscitées par les nouvelles technologies de la communication et du vivant.  Menant parallèlement recherche formelle et interrogation conceptuelle, concrétisée par plusieurs ouvrages consacrés au langage, à la cognition humaine, à la biotechnologie (et notamment à la génétique), à la télérobotique, aux réseaux (aux processus d’interactivité), et à leur intégration dans le champ de l’expérience artistique, Eduardo Kac a proposé de faire de la vie, des frontières et des hybridations entre le biologique et le machnique, le matériau même de son œuvre.

Cette proposition n’a pas été sans susciter réactions, débats ou controverses, ainsi que le produit inévitablement toute tentative de manipulation et de transformation du vivant:  les problèmes soulevés par l’œuvre d’Eduardo Kac engagent une réflexion éthique et biopolitique, menée depuis la sphère esthétique, et donc en partie dégagée des conditionnements économiques ou des contraintes scientifiques.  Cette démarche a trouvé sa figure emblématique avec la création du très charismatique lapin vert fluorescent Alba, que nous sommes ravis d’accueillir dans le bestiaire de couverture d’Inculte.

 

Vous venez de publier un ouvrage intitulé Telepresence and Bio Art - Networking Humans, Rabbits and Robots,  paru aux États-Unis aux University of Michigan Press, et qui regroupe un choix d’écrits s’étalant sur une décennie (1992-2002).  Pourriez-vous évoquer les grandes lignes de la réflexion que vous y menez?

Ce livre rassemble la plupart de mes écrits, interventions ou débats;  chacun d’eux provient d’un champ différent.  Pendant ces quelques années, j’ai appris que: 

1. il est important de développer des formes d’art dialogiques dans l’espace électronique (ce qui n’est pas très éloigné de la notion d’esthétique relationnelle de Nicolas Bourriaud);   2. cette interaction dialogique peut être limitée à l’espace d’un écran et à des interactions uniquement humaines - c’est pour cela que je parle de telepresence-art, qui convoque d’une part des corps télérobotiques inventés, afin de créer de nouvelles formes de présence virtuelle dans le réseau, mais aussi d’autre part la communication entre espèces, afin d’emmener l’art au delà du sensoriel et de la cognition humaine;   3.  les différences entre le biologique et le technologique ne sont plus clairement établies et ces catégories ne résistent pas à la pensée ou à l’expérimentation biologique transgénique et synthétique - ainsi, le bio-art émergeant crée une approche radicalement nouvelle des conditions de vie au vingt-et-unième siècle.

 

Comme l’indique fort bien le titre de votre ouvrage, votre travail artistique récent cherche à nouer les problématiques de la (télé)communicaation, de l’art et du vivant.  Comment faites-vous fonctionner, formellement, plastiquement, et en relation avec la recherche, les interactions entre ces trois termes?

Un des centres de mon travail réside dans la notion d’interaction dialogique, c’est’à-dire l’interaction entre deux êtres vivants - et non pas, donc, entre un être vivant et une toile ou une machine, par exemple.

Pendant de longues années, j’ai cherché à créer de nouveaux contextes et de nouvelles formes d’interaction dialogique.  Par exemple, dans Essay Concerning Human Understanding (1994), j’ai fait une œuvre d’art qui traitait de cognition et de sensorialité non-humaine:  j’avais établi un dialogue sonore entre un oiseau et une plante séparés de 1000 kilomètres.  Dans Rara Avis (1996), j’ai créé un perroquet télérobotique qui partageait une volière avec trente petits oiseaux monochromes.  Les participants à cette expérience (in situ, ou à distance) pouvaient ainsi vivre l’expérience de la volière à travers les yeux du perroquet, et donc incarner un autre sujet.  Je veux incorporer tout autant l’expérience visuelle que sensorielle globale dans la perception d’une œuvre d’art.  En créant des œuvres très larges, qui peuvent inclure des flots de mouvements, recréer des contextes ou des situations, je veux que les participants à mes œuvres vivent une expérience plus forte, plus riche.  Dans Move 36, mon œuvre ne se situe dans un aucun espace:  elle est l’espace.  Cette œuvre possède un agencement spatial très précis, essentiel pour l’expérience.  Parfois, ces pièces prennent des tournures inattendues:  GFP Bunny a amené des opportunités de développement inédites.  Son succès public monumental s’est révélé en lui-même un nouveau matériau plastique en se déclinant à grande échelle - en séries de photographies, de dessins, entre autres.

 

Ce travail combinatoire entre sciences et arts vous rapproche-t-il de romanciers qui auraient effectué la même connexion.  En quoi votre démarche diffère-t-elle - ou non - de la leur?

Je ne pense pas combiner l’art avec d’autres disciplines, comme la science ou autre chose.  Pour faire simple, je fais de l’art, un point c’est tout.  Et, bien sûr, je travaille avec tous les matériaux ou les média de mon époque.

Parfois, je dois créer de nouvelles synthèses entre des entités, afin d’accéder à de nouvelles possibilités matérielles pour mon travail.  Mais dire de mon travail  qu’il  serait une combinaison art et science équivaudrait à dire d’une toile qu’elle combine art et chimie.

Quant à mes relations avec les écrivains, elles ne se limitent pas aux auteurs d’œuvres narratives, mais concernent aussi les philosophes - qui sont des écrivains, également.  La principale différence qui m’en distingue, dans les deux cas, est que j’active mes idées dans le monde physique à travers mes œuvres d’art, via l’appropriation et la transformation - certains diront la “subversion” - des conditions matérielles qui créent la réalité sociale dans laquelle je tente d’intervenir.

 

Dans les années 80, avant l’apparition du web, vous avez testé des formes prototypes de réseaux.

Pourriez-vous revenir sur ces expériences?  Comment les reconsidérez-vous à la lumière du développement d’Internet, et  aujourd’hui que le paradigme du réseau est devenu la figure hégémonique par laquelle notre société se représente?

La ligne de force de mon travail, pendant ces vingt-cinq dernières années, est mon expérimentation continue du champ de la communication, qui est un phénomène complexe agissant à chaque niveau de la vie sociale.  Au début des années 80, j’ai questionné la stabilité du langage humain en travaillant sur des processus linguistiques fugaces, manifestés par la lumière.  Cette approche d’un langage comme transistoire et en flux constant m’a poussé à aller audelà du champ référentiel humain et à observer les communications entre espèces.  C’est ce qui m’a emmené là où je suis aujourd’hui, dans une situation où le processus de création de la vie est au centre de mes préoccupations.  Ceci pour dire que mes réseaux - ou, en tout cas, les processus communicationnels  dans lesquels je suis engagés - ne sont pas toujours de nature électronique.  Les proto réseaux que j’ai créés dans les années 80 devaient produire des expériences dialogiques et témoigner, sur le moment présent, d’une expérience possible de ce à quoi le futur ressemblerait.  Maintenant que les réseaux globaux de télécommunication sont devenus une structure stable, mon intérêt se porte essentiellement vers cet autre réseau global qu’est la vie biologique.

 

Y a-t-il eu, dans votre pratique artistique, un “avant” et un “après” web très délimités?

À un niveau pratique et matériel, il n’existait pas de réseau global avant internet. À cette époque, tous les réseaux étaient soit, au mieux, nationaux, soit de portée très restreinte.  Dans ce sens, donc, oui, le web a crée un environnement  nouveau pour le travail artistique.  L’autre évolution est située à un niveau culturel: pour le grand public, le web a imposé la notion de réseau dans le débat culturel, car c’était le premier réseau avec lequel les gens étaient en contact.  Ces deux facteurs ont transformé l’environnement dans lequel travaille un artiste.  Mais en réalité, le web n’a pas produit une rupture radicale dans mon travail;  quand je me rèfère à l’ “avant” et à l’ “après” internet, je pense plus à la facilité que j’ai eue, par la suite, à parler du concept de réseau avec le public.

 

Qu’appelez-vous la “téléprésence”?

J’ai inventé le terme de telepresence-art pour désigner ce qui alllait au-delà de l’art-télécommunication, qui incluait l’utilisation de vidéophones ou de terminaux digitaux (comme le Minitel) pour créer des œuvres interactives - se limitant ainsi à la seule surface de l’ecran.  Le telepresence-art est donc un art basé sur l’association du corps télérobotique et d’un réseau de télécommunications, afin de créer de nouvelles formes de présence.  Ce n’est aucunement une simulation;  il s’agit bien de l’invention de nouveaux types de présentations basées sur les éléments créés par l’artiste, par exemple comme le corps d’un télérobot, son appareillage sensoriel, l’interface avec laquelle le participant entre dans son corps à distance, et l’espace dans lequel le corps est situé, etc.

 

L’une de vos créations les plus emblématiques est celle du lapin transgénique fluorescent Alba, obtenu grâce à l’implantation d’un gène spécial.  Vous avez proposé, pour désigner vos expériences menées en lien avec la génétique, l’expression “art transgénique”.  Quels seraient les enjeux de ce concept?

L’art transgénique est une nouvelle forme d’art basée sur l’utilisation des techniques d’ingénierie génétiques, pour créer des formes de vie inédites.  Ces formes de vie sont rendues possibles grâce au transfert de gènes synthétiques vers un organisme, ou grâce au transfert de matériel  génétique naturel d’une espèce à l’autre.

Naturellement, les nouvelles techniques évolueront dans le futur, comme la “biologie synthétique”, dont l’enjeu n’est pas le transfert de gènes afin d’observer des expressions particulières, mais bien le design et la construction directes de nouvelles compositions biologiques, de nouveaux mécanismes et de nouveaux systèmes (parfois appelés “chemins” - pathways) pour produire des résultats spécifiques.  Le terme “transgénique” ne doit donc pas être compris de façon littérale puisque je m’intéresse, en fait, au phénomène de la vie dans son ensemble.  J’ai également utilisé pendant de longues années le terme de bio-art, qui avait peut-être un sens plus général, plus pratique et immédiat ...

 

Quelle est la spécificité d’une expérience artistique des nouvelles technologies de la vie?

Une comparaison peut être utile:  pensez, par exemple, à la façon dont Nam June Paik utilisait la vidéo.  Quelle est la différence entre l’utilisation de la vidéo ou d’une télévision par un artiste et l’usage quotidien de ce média?  C’est exactement la même question qui se pose pour la vie:  on pourrait dire, génériquement, que l’artiste utilise tous les médias nécessaires pour exprimer ses idées, pour construire un monde imaginaire, pour créer un pont entre son monde imaginaire et la réalité physique qui l’entoure, afin de trouver écho auprès du public qu’il concerne.  Il faut être attentif à la spécificité du travail individuel de chaque artiste, aux formes et aux situations qu’il crée.  Dans mon cas, par exemple, j’ai signé des séries d’œuvres qui exploraient la bioluminescence et d’autres propriétés de la vie, pour les mettre au service d’expériences uniques qui ne se proposaient pas d’autre but que de toucher émotionnellement et intellectuellement le regardeur, de lui apporter une lumière, donc de lui parler, au sens poétique et philosophique du terme.

 

À propos d’Alba, vous avez déclaré que votre travail ne se limitait pas à donner naissance à un animal génétiquement modifié, mais que votre démarche consistait également à mettre en œuvre ce que vous appelez “l’intégration sociale” de cette créature hybride ...  Quel peut être le rôle de l’art, dans son lien avec les technologies, pour la création de formes de socialité?

L’art est détaché des contraintes téléologiques de la science et de la technologie.  C’est un espace dans lequel les créateurs et le public peuvent exercer leur imagination en toute liberté.  L’imagination peut laisser libre court à sa puissance et l’appliquer à des formes immuables - comme au marbre sculpté,  par exemple -, mais aussi à des formes nomades, éphémères, dialogiques - comme les réseaux digitaux, l’écologie, les pratiques constitutives de formes de communauté ou de socialité, ou encore l’invention d’une nouvelle vie.  En définitive, l’art n’a pas à refléter les changements sociopolitiques, culturels, naturels ou environnementaux - il doit imaginer de nouveaux mondes possibles et, via les œuvres elles-mêmes, activer ces changements dans le monde.

 

Vous avez également écrit autour de l’holo-poésie;  pouvez-vous nous resituer cette notion?  Comment s’inscrit-elle dans le paysage et l’histoire poétique?

Historiquement, les écrivains qui ont exploré le domaine visuel de la langue et de la poésie sont légion, et leur histoire est riche et variée.  Pour faire bref, si nous écartons l’émergence du langage à travers des signes visuels (comme les fresques rupestres, l’écriture cunéiforme, les idéogrammes ou les hiéroglyphes) ainsi que les formes visuelles développées pour des raisons autre que créatives (comme dans le Talmud, par exemple), si nous nous concentrons donc sur l’histoire de la poésie visuelle, on peut déceler des exemples du genre avec Simias de Rhodes en - 300 avant notre ère.

Les exemples abondent pendant l’époque baroque, qui condense des formes visuelles inventives, comme les labyrnthes ou le développement, par la suite, de la typographie.  Il n’y a qu’à penser aux poèmes trés célèbres “Easter Wings” ou “The Temple”, de George Herbert, en 1633.  Cette trajectoire aboutit à un sommet avec la publication de “Un Coup de dés ...”, de Mallarmé, en 1897.  Le XXe siècle a vu l’explosion des mouvements d’avant-garde, comme le Futurisme ou Dada, qui ont poussé un peu plus loin encore l’exploration de la dimension visuelle des poèmes.  Le travail de poètes comme Apollinaire ou Cummings est central.  Quand j’ai commencé à écrire de la poésie au début des années 80, j’appartenais moi-même à une époque post-typographique - c’est-à-dire à l’ère digitale globalisée.  Je voulais écrire d’une façon spécifique, qui me permettrait de communiquer au lecteur la perception d’une nouvelle condition du mot, à une époque où le sens est fluide, polycontextuel, multi-distribué et non-linéaire.  L’holographie m’a permis d’enregistrer ces états verbaux instables et fluctuants que j’ai créés et de les présenter à mes lecteurs d’une façon dynamique, qui se transformait avec l’acte de lecture.

Entre 1983 et 1993, j’ai écrit et produit vingt-trois holopoèmes; en réalité, j’en ai écrit un autre en 1986 qui n’a jamais été produit et qui devait être en même temps une œuvre de space-art, envoyée vers la galaxie d’Andromède, la grande galaxie la plus proche de la nôtre, qui est aussi l’objet le plus éloigné visible à l’œil nu.

 

Toujours dans le champ poétique, vous évoquez le terme de “bio-poésie”, une sorte de “poésie in vivo”;  quelles en sont les modalités, les possibilités?

Pouvez-vous nous relater une de vos expériences dans ce champ?

Quand Mallarmé a montré à Paul Valéry les épreuves de “Un Coup de dés”, il lui a demandé:  “Ne trouvez-vous pas que c’est un acte de démence?”.  Valéry a rétorqué:  “Il a essayé, pensai-je, d’élever enfin une page à la puissance du ciel étoilé!”.  Pour paraphraser Valéry, je dirais qu’il est nécessaire d’essayer d’élever le poème à la puissance de l’organisme vivant.  Les prémices de la biopoésie sont in vivo: la biopoésie n’est pas la métaphore poétique de la vie - c’est le poème créé à partir des processus de vie.  Ma protéine “Genesis”,  par exemple, est une forme tri-dimensionnelle - une sorte d’arabesque spatiale -, qui encode de façon critique le précepte biblique suivant: “Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l’assujettissez;  et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.”  C’est un exemple parmi d’autres des possibilités innombrables de l’écriture in vivo, ou de la logique de la vie.  La biopoésie peut également s’ouvrir à des publics autres qu’humain, pour qui le concept de poésie devient les différentes façons d’agencer les formes des signifiants qui échappent à l’ordinaire - comme les chants des baleines qui ne se conforment à aucun schéma habituel, et même le vol des abeilles qui dansent d’une façon spéciale quand elles se déplacent pour le plaisir et non pour la survie.  C’est ce qu’Uexhüll suggère: il faut étudier l’umwelt des différentes formes de vie.  Même une poésie bactériologique est possible ...

 

L’art transgénique ne suppose-t-il pas également la nécessité de penser de nouvelles “politiques de la nature”, pour reprendre un titre de l’anthropologue français Bruno Latour, qui se pose précisément la question de l’hybridation, du rapport technologie / nature?

Votre démarche comprendrait-elle également une proposition pour “faire entrer les sciences en démocratie”, pour poursuivre avec les mots de Latour?

Ce que mon travail, depuis plus de 20 ans, partage avec Bruno Latour est la conviction dans le fait que la Nature n’est pas un univers simple et séparé de l’humanité, des champs politiques, scientifiques, philosophiques ou culturels.  J’aime l’idée de Latour de “multinaturalisme”, qui va au-delà des termes institutionnalisés comme ceux de “multiculturalisme” ou “mononaturalisme”.  Le questionnement des notions classiques de Nature est au centre de mon travail - Latour s’y réfère sur un mode critique en les appelant: “cette mixture indigeste de philosophie grecque, de cartésianisme français et de parcs naturels américains”.  Mon travail artistique a consisté à attaquer les couples dialectiques qui, je le pense, ne peuvent plus structurer nos pensées et nos actions:  nature / culture, biologie / technologie, humain / animal, local / global.  Mes œuvres sont constituées d’actions, d’interactions et de mises en contexte qui offrent des modèles alternatifs aux formes d’échanges sociaux basés sur ces dichotomies.

 

Cette question de l’hybridation, des liens et des frontières entre le vivant et la machine, entre la subjectivité humaine et l’intelligence artificielle, est également le thème de votre dernière installation, Move 36 ...

Move 36 explore les frontières perméables entre l’humain et le non-humain, le vivant et le non-vivant.  Ce titre se réfère au dramatique trente-sixième coup de Deep Blue contre Gary Kasparov en 1997, lors d’une partie d’échecs entre le meilleur joueur vivant et le meilleur joueur non-vivant.  Cette installation comprend une plante, créée pour l’occasion, qui utilise le code informatique universel (appelé ASCII) afin de produire une sorte de gène cartésien qui serait la traduction génétique du “Cogito  ergo  sum” de Descartes.  Alors que le public déambule dans l’espace, il peut voir un plateau d’échecs en sable et terre, accompagné sur chaque côté par des projections digitales qui évoquent les joueurs in absentia.  La plante est située dans la case précise où l’ordinateur a battu l’humain, c’est-à-dire là où le “move 36 (36e coup), a été joué.

 

Une dernière question: est-ce que vous connaissez l’écrivain Olivier Cadiot et son roman Retour définitif et durable de l’être aimé, où apparaît un lapin fluo qui ressemble étrangement à Alba?

Je ne connais pas personnellement Olivier Cadiot, mais j’ai effectivement lu son roman où Alba figure comme personnage de fiction.  Dans mon livre d’artiste It’s not easy being green!, paru en 2003, je reproduis un fragment de son texte: “C’est dans la campagne sans lune, noir total, que j’ai vu pour la première fois le lapin fluo, vert intense dans son champ abandonné, menant sa vie, indifférent à l’idée de son étrangeté, dans un halo brûlant, comme quand on ferme les yeux sur le souvenir de quelqu’un, signal dans la nuit noire, petit point.  Sage comme une image.”  Récemment, Margaret Atwood a publié un roman du nom d’Oryx and Crake, dont Alba est également un personnage.  Je vous en cite un extrait:  “Across the clearing to the south comes a rabbit, hopping, listening, pausing to nibble at the grass with its gigantic teeth.  It glows in the dusk, a greenish glow filched from the iridocytes of a deep-sea jellyfish in some long-ago experiment.  In the half-light the rabbit looks soft and almost translucent, like a piece of Turkish delight;  as if you could suck off its fur like sugar.  Even in Snowman’s boyhood there were luminous green rabbits, though they weren’t this big, etc.”  Alba est également apparu dans plusieurs bandes dessinées, dans des poèmes, des films, des chansons et sous de nombreuses autres formes de réponses du public.  À la lumière de ces réponses diverses, complexes et multi-formes, j’ai pu transformer la réception de ce travail elle-même en un nouveau matériau et développer une série d’œuvres utilisant d’autres média (photographies, dessins, interventions publiques, drapeau, livre d’artiste, web, etc.), qui évoluent encore actuellement,  en dialogue direct avec la réception également évolutive de GFP Bunny.


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