Texte paru dans Flash Art nº 218, Milan, 1999. Republié dans le livre: Not for Sale – A la recherche de l'art relationnel 1982-2000, Piero Gilardi (Dijon: Les presses du réel, 2003).


L’art et l’ADN
Le festival Ars Electronica


Piero Gilardi

Cette année, on attendait avec beaucoup d’intérêt l’ouvrage d’Eduardo Kac, dont Internet avait annoncé qu’il serait l’événement artistique emblématique de cette édition du festival consacrée à la “science de la vie”.

À première vue, son installation Genesis, à l’OK Centrum, n’était qu’une impeccable oeuvre conceptuelle. Dans une pièce sombre était placé un conteneur biotech de bactéries vivantes transgénétiques dont l’agrandissement live était projeté sur la cloison du fond, tandis que sur les parois latérales, apparaissaient à gauche le séquence complète des nucléotides et de leur ADN et à droite une phrase de l’Ancien Testament célébrant la suprématie de l’homme sur la nature.

Ces bactéries se distinguent de tous les autres organismes vivants déjà présentés dans les expositions, parce qu’elles constituent un embryon synthétique de vie, transposable dans d’autres organismes vivants, pouvant transformer le code génétique. Pour mieux comprende l’oeuvre de cet artiste quadragénaire de Chicago je pense qu’il faudrait avoir aussi à l’esprit un autre travail intitulé “GFP K-9” (GFP signifie Green Florescent Protein), qui a été présenté en tant que “projet en cours” au public attentif et silencieux du symposium du Brucknerhaus. Il s’agit de la construction transgénétique d’un chien hybridé avec un mollusque “jellyfish” - dont il prend la fluorescence verte, visible dans le noir sous la lumière de Wood. De toute évidence, la modification de ce chiot ne pourra pas ne pas se répercuter dans la sphère des significations linquistiques, ainsi que cela s’est produit pendant les vingt mille années de la sélection canine où l’homme - affirme Eduardo Kac - a domestiqué le chien de même que le chien a domestiqué l’homme. C’est pourquoi la relation entre ce chiot et un hypothétique acquéreur-collectionneur ne pourrait être sur la base d’un dialogue. L’artiste, par les caractères paradoxaux des gènes artistiques, réels et symboliques à la fois, nous informe que la signification prééminente de l’ingénierie génétique n’est pas la recréation faustienne de la vie, mais la naissance d’une nouvelle subjectivité relationnelle.

Le retour au futur
L’intervention pondérée d’Eduardo Kac, après une série articulée et multidisciplinaire de relations scientifiques - (David Kevles et Dean Hamer génétistes, Jeremy Rifkin et Bruno Latour sociologues) - a fait “précipiter” les humeurs inquiètes du public qui (s’il a partagé leurs inquiétudes à propos des gros risques inhérents aux biotechnologies, ou entraînés par leur confiscation commerciale de la part des multinationales) a manifesté cependant sa conviction que le développement de ces techniques, grâce aux potentialités importantes qu’elles offrent, est nécessaire.

Il me semble donc qu’il faudrait entamer d’urgence un travail d’information et de prise de conscience concernant la biogénétique où les artistes joueraient un rôle propulseur du fait de leurs investissements dans le symbolique. Il s’agirait d’un processus prenant le relais du courant génétiste imprégné de déterminisme biologique et qui le déformerait dans les discours des médias au niveau du sens commun social.

Comme d’accoutumé, le festival a présenté à côte d’oeuvres centrées sur le thème spécifique du festival, un échantillon des expériences artistiques les plus récentes concernant les nouveaux médias, décernant aussi ses prix traditionnels, attribués à Lynn Hershman pour l’art interactif et à Linus Torvald pour le Network Art.

La plupart étaient présentés dans le cadre de l’exposition du OK Centrum; et trois travaux d’artistes déjà expérimentés m’ont paru particulièrement incisifs. Maintenance system de Perry Hoberman proposait un cadre réel/virtuel dans lequel l’ameublement d’une pièce était présenté trois fois, respectivement à l’échelle réelle, avec une échelle réduite, et en représentation digitale. Les manipulations du public participant s’additionnaient sur un écran 3D dans une perpétuelle discrasie perceptive, comme dans le miroir d’une subjectivité irrémédiablement asynchronique. Dans Landscape One, Luc Courchesne a placé ses habituels personnages dialoguant dans un paysage virtuel à 360º. Sommerer et Mignonneau ont réussi à nouveau à nous surprendre avec Haze Express: assis à côte de la fenêtre d’un train et passant la main sur la vitre, on activait la naissance et le défilement d’un fantasmagorique paysage abstrait formé de lumières et de couleurs.

Il serai délicat de décrire toutes les autres installations intéressantes offertes à l’interaction du public, toutefois, je voudrais souligner qu’elles semblaient reliées par une nouvelle grille de sens: l’effondrement de l’evidence technologique et le déploiement d’une subjectivité fantasmatique, modulée avec une fluidité qui réduit à néant la séparation entre l’intérieur et l’extérieur, entre la réflexion et l’action, entre le corps et l’esprit.

En conclusion, cette édition du festival m’a semblé moins brillante que d’habitude non pas en raison de certaines restrictions budgétaires qui désormais sont le lot commun de toutes les manifestations culturelles, mais parce qu’elle était située sur la ligne de partage entre deux cycles d’expériences - le cycle de l’exploration des réalité virtuelles et un nouveau cycle à ses débuts, dont on perçoit la tension conceptuelle originelle sans pouvoir encore en cerner les développements et les instruments interprétatifs. Selon Kac, actuellement, la charnière se trouve entre l’interactivité fondée sur le silicium et celle qui jaillit de la vie organique. C’est une métaphore qui correspond aux prévisions qui placent la life science au coeur du développement technoscientifique des décennies à venir. Toutefois, il est indéniable que le collectif des organisateurs d’Ars Electronica, vingt ans après le début du festival, a fait preuve une fois de plus, de sa capacité à saisir les lignes essentielles des grands processus de mutation culturelle, dans de contexte d’une réelle multidisciplinarité, aboutissant cette année encore à la confrontation efficace entre savants, techniciens, artistes et philosophes.

Linz, 1999.


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