Le Figaro, 19 Septembre 2002, p. 13.




BIO-ART
Des microbes fluo à vocation artistique





Eduardo Kac expose son oeuvre intitulée
« Genesis » à partir de cette semaine, à la
Maison européenne de la photographie à
Paris. (Photo Alain Aubert/Le Figaro.)



Fabrice Nodé-Langlois
[19 septembre 2002]

Eduardo Kac est-il un Frankenstein de l'art ? Assurément, ses oeuvres ne peuvent laisser indifférents. Elles dérangent, même. Car la matière qu'il travaille n'est ni le bronze ni la peinture à
l'huile, mais le vivant. C'est cet artiste brésilien, enseignant à l'Institut de l'école des arts de Chicago, qui a défrayé la chronique voici deux ans en créant, avec la complicité de chercheurs
français de l'Inra (Institut national de recherche agronomique), un lapin transgénique vert fluorescent. Cette fois, Eduardo Kac expose à Paris des bactéries génétiquement modifiées. Son
oeuvre, modestement intitulée « Genesis » (La Genèse) est présentée à partir de cette semaine à la Maison européenne de la photographie dans le cadre du troisième festival « @rt outsiders »
(1).

Dans l'une des belles caves voûtées de l'hôtel du Marais qui abritent les neuf « créations numériques » du festival, plongé dans la pénombre, un grand cercle mauve constellé de petits globules
mobiles fluorescents illumine le mur. Une image de synthèse ? Non, les petites boules qui s'agitent au mur sont d'authentiques bactéries, dont l'image, grossie au microscope et éclairée aux
ultraviolets, est projetée en direct à l'aide d'une microcaméra vidéo. Qu'ont-ils de spécial, ces microbes ? Eduardo Kac les a génétiquement modifiés, avec l'aide de biologistes, pour leur ajouter
deux gènes. L'un est le même que celui dont il avait affublé son lapin : un gène de méduse qui produit une protéine de fluorescence. L'autre est au coeur de l'oeuvre, c'est « un gène d'artiste
», une séquence génétique créée de toutes pièces par Eduardo Kac.

Pour forger son « gène », l'artiste a dans un premier temps transformé la phrase de La Genèse « Que l'homme domine les poissons, les oiseaux du ciel et tous les animaux qui rampent sur
terre », en morse. Puis, avec ses propres règles de traduction, il l'a transformée en alphabet génétique, en utilisant les quatre lettres (A, T, C, G) qui symbolisent les briques élémentaires de la
molécule d'ADN. Restait à fabriquer de l'ADN de synthèse.

Rien de révolutionnaire dans ces procédés. Ils sont tous d'un usage courant dans les laboratoires de biologie. La bactérie, c'est une souche de la vulgaire Escherichia coli qui peuple notre
intestin. Quant à la fabrication de la séquence génétique, un laboratoire s'en est chargé à partir du code expédié par Internet. Bien sûr, ce « gène » fabriqué au hasard n'a aucune fonction, il ne
produit pas de protéine. Mais il a bel et bien été introduit dans le patrimoine génétique des bactéries.

L'oeuvre ne s'arrête pas là. Eduardo Kac propose aux spectateurs de jouer à Dieu avec lui. Sur place, chacun peut éteindre ou allumer des lampes, une simple action qui peut influer les
mutations génétiques des microbes. Mieux, n'importe quel internaute, avec la souris de son ordinateur, depuis New York ou Rio, peut également perturber l'environnement des bactéries.

Un dangereux démiurge, Eduardo Kac ? Avec son sourire bonhomme au milieu d'un visage rond surmonté de cheveux bouclés, on lui donnerait le bon dieu sans confession. « Mon oeuvre
pose un paradoxe éthique. En appuyant sur le bouton, tu crées des mutations réelles chez les bactéries, tu changes les mots de Dieu (le gène de la genèse) mais sans le contrôler. »
S'agit-il de dénoncer les manipulations génétiques, en s'appropriant les outils de l'ennemi pour mieux les combattre ? Le propos d'Eduardo Kac n'est pas si simple. Il se pique de vouloir
provoquer le débat entre scientifiques, philosophes, artistes et citoyens. Il se refuse à penser en terme de bien ou de mal à propos de la transgénèse. Ce littéraire passionné de sciences sait que
notre génome a certainement intégré au cours de l'évolution des gènes issus de virus, que nos cellules renferment des mitochondries, du matériel vraisemblablement hérité de bactéries.
Autrement dit, s'amuse Kac le pro vocateur : « Nous sommes tous transgéniques ! »

(1) Fondé par Henry Chapier et Jean-Luc Souret, ce festival accueille plusieurs oeuvres numériques, interactives pour certaines, mettant en scène de la vie artificielle. Plusieurs conférences
avec les artistes et projections sont organisées jusqu'au 20 octobre. Maison européenne de la photographie, Paris. Tél. : 01 44 78 75 00. Internet : www.art-outsiders.com


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